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"parmi les maillons de la chaine musicale, Salieri possède corps et âme, son interprète, Jean HACHE."
SALIERI, le mal-aimé de Dieu
Au théâtre du Lucernaire
De et par : Jean HACHE
Mise en scène : Jean HACHE et Roland HEGAULT
Avec la voix d’Emmanuel RAY (Mozart)
Salieri ou le mal-aimé de Dieu, voilà un titre de pièce qui nous immerge, une fois de plus, entre ciel et chair. Dans les coulisses de l’âme d’un musicien, il n’y aurait qu’un seul Dieu, une seule instance, une seule raison de vivre, la musique elle-même.
Il importe peu, in fine, de savoir si Salieri, tel qu’il se présente sur scène, a réellement existé. En tant que personnage, il surgit des limbes de tout artiste tourmenté, en quête d’absolu ou de miséricorde. Si nous prenons conscience que ce sont les passions humaines qui s’expriment à travers toute création musicale, il n’y a pas de quelconque orchestration pour celui qui rentre dans l’orchestre. Qu’il soit béni ou non, il en fait partie et c’est cela seul qui compte.
Le théâtre ne peut se passer de ses personnages mal dans leur peau, et Salieri auquel Jean HACHE prête son verbe et son corps est d’une étoffe très Shakespearienne.
Il fallait un pendant à Mozart, enfant prodige, pour magnifier le mythe, il fut tout trouvé en la personne de Salieri, son contemporain et collègue en quelque sorte. Pour faire bonne figure face à ce génie, ne convient-il pas de revenir sur terre. Comment s’étonner qu’à l’autre bout de la magnificence, les ténèbres s’agitent et accouchent d’individus malheureux,
et prisonniers qui doivent se contenter du reste pour continuer à vivre.
Et pourtant la geôle sordide de l’asile dans laquelle se démène ce pauvre Salieri est un décor de maître, de nature à faire résonner ses propres symphonies, de façon spectaculaire, comme si la musique pouvait se lire dans un miroir, celui de l’âme, bien sûr.
C’est Mozart alors, l’enchanteur qui en projetant sa clarté sur Salieri nous éclaire sur sa condition d’être brimé, condamné soit à la décrépitude, soit à la faim, à la soif.
L’artiste solitaire finit par devenir solidaire de ses démons. C’est la dérive des sentiments, toujours le spectre d’Aguirre ou la colère de Dieu. C’est ce qui n’est pas exploitable, cette partie de chair délictueuse ou bienvenue qui échappe à toute politique ou norme, indomptable car démesurée, la musique à fleur de peau pour seule
raison d’être.
Tous ceux qui guettent la charrue avant les bœufs seront sensibles à cette exploration à voix humaine, comme la main sur l’instrument de celui qui reste à l’affût des crispations, vibrations, pour à chaque point du ciel de leur partition, n’attendre que d’être émus.
Jean HACHE, Salieri, offre la vision d’une petite pièce mentale ourdie de notes, pour le do d’une cuillère musicale, quand la mer monte, chez Mozart, Salieri ou Bach.
La mise en scène, très impressionniste, ose l’ombre de la musique elle même.
A toute ouïe, bon entendeur, parmi les maillons de la chaine musicale, Salieri possède corps et âme, son interprète, Jean HACHE.
Paris, le 11 Juin 2011
Evelyne Trân
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Salieri, le mal aimé de Dieu
"Jean Hache se fond avec bonheur dans le rôle de Salieri et réhabilite celui qui a été accusé d'avoir empoisonné Mozart". Crédits photo : Vincent PONTET/WikiSpectacle/Vincent PONTET/WikiSpectacle
Pieds nus, chemise blanche, se déplaçant à l'aide d'une canne, un homme rumine son passé dans un asile. Il s'agit d'Antonio Salieri (1750-1825), qui fut le compositeur officiel de la cour de Joseph II, à Vienne. À la fin de ses jours, il reproche à Dieu de l'avoir préféré à Mozart. Jean Hache s'est inspiré de la nouvelle de Pouchkine, Mozart et Salieri (1830), pour concevoir un spectacle autour du musicien italien brillant, mais malade de jalousie. Salieri a été accusé d'avoir empoisonné Mozart, mais Jean Hache choisit de le réhabiliter. Avec beaucoup de tact. Le comédien, qui cosigne la mise en scène avec Roland Hergault, se fond avec tant bonheur dans le rôle de Salieri qu'il réussit à le rendre proche du public. Deux paravents, une bassine, un banc de bois et des œuvres de Salieri et Mozart suffisent pour créer une ambiance intimiste et conter un « combat de notes » entre les deux maestros. Le génial auteur de La Flûte enchantée est symbolisé par une minuscule chaise suspendue au plafond. Sa voix se fait entendre grâce à Emmanuel Ray. Jean Hache rend un double hommage, à Salieri et à son rival qui « dialogue avec les anges ».
Salieri le mal aimé de Dieu, Lucernaire, 53, rue Notre-Dame-des-Champs (VI e ) Tél. : 01 45 44 57 34 . Horaires : du mar. au sam. à 18 h 30 places : de 10 à 30 €. Durée : 1 h 10 jusqu'au 28 août.
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"Derrière ce Saliéri abîmé, se cache Jean Hache, un comédien d’une grande envergure, qui arrive à exprimer, par les inflexions de sa voix, la perdition de son regard, la précipitation ou l'abandon de ses gestes..."
Saliéri, le jaloux
Tout le monde connaît Mozart. Mais Saliéri… Qui le connaît ? Ce compositeur italien, qui fut nommé compositeur officiel de la Cour de Joseph II, fut éclipsé par le génie de son plus grand concurrent. Saliéri, le mal aimé de Dieu, actuellement au théâtre, revient sur la frustration que c'est de ne pas être l'Élu.
Ne pas avoir de don quand on le désire au plus profond de son être, c'est douloureux. Saliéri en a été l'une des plus éclantantes victimes. Ce compositeur italien du XVIIIe siècle était doté d'une forte sensibilité musicale, d'une connaissance approfondie des notes, d'une application tenace, et d'un sens aigu des relations humaines. À tel point qu'il devient, à 24 ans, une personnalité incontournable de la vie musicale viennoise. Il n'a rien à envier à personne, jusqu'à la naissance de Mozart. Ce jeune prodige, très vite invité à la cour, crée des morceaux étonnants, par magie croirait-on. On lui prête d'être turbulent, grossier, excentrique. Mais il a un don. Cette chose qui ne s'achète pas. Cette chose que Saliéri, et il le sait, n'aura jamais. C'est ce manque que raconte Saliéri, le mal-aimé de Dieu.
Enfermé seul dans une chambre à l'asile, agité, courbé, ridé, il se laisse aller à ses souvenirs de jeunesse. Les tirades sont longues, exaltées et exaltantes. Il maîtrise le verbe comme il maîtrise ses compositions : avec beaucoup de minutie et d’images. Au départ, il est presque heureux quand il évoque son accession au titre de compositeur officiel de la Cour de Joseph II, à Vienne. C'est un sacre, pour celui qui travaille dur. Puis, très vite, surgit le souvenir prégnant de Mozart, qu'il invoque à travers des dialogues imaginaires. Face à «ce singe savant», il comprend, à l'époque, qu’il n’est pas l’Élu de Dieu. Il décide donc de «se vautrer dans le stupre» et de réaliser des musiques de commande pour le punir, à son tour. Les réminiscences de ce passé douloureux durcissent son discours : Saliéri se ferme, traite de tous les noms un Mozart pourtant mort à l'heure de son récit. Il est rongé jusqu'aux os par la jalousie, «cette maladie du fou», disait Beaumarchais.
Minimaliste et sombre, la mise en scène souligne le morbide découragement qui habite Saliéri. On le sait perdu, même si on le devine, lui aussi, doué. Plusieurs morceaux classiques naissent des ténèbres de la scène, beaucoup de Mozart - L'enlèvement au Sérail, La Flûte enchantée - et quelques Saliéri, dont le morceau d'ouverture Armida et de fermeture Requiem, là pour montrer l’intérêt non-négligeable de sa musique. Ces intermèdes mettent en notes la diatribe de Saliéri, qui retombe finalement épuisé, désarmé face à la pureté des compositions de Mozart. Il reconnaît, dans un souffle, que «cet homme dialogue avec les anges.»
Derrière ce Saliéri abîmé, se cache Jean Hache, un comédien d’une grande envergure, qui arrive à exprimer, par les inflexions de sa voix, la perdition de son regard, la précipitation ou l'abandon de ses gestes, le tourment de la jalousie. La justesse de sa prestation est sans doute liée à l’empathie qu’il ressent à l’égard de cet artiste ici réhabilité. Contrairement à Amadeus de Milos Forman, et à l'essai de Pouchkine dont il s’inspire pour écrire le texte, il préfère innocenter Saliéri, accusé d’avoir organiser la mort de Mozart : si sa jalousie l'a détruit, elle ne l’a pas pour autant rendu fou.
Par Cécile Strouk
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TERRES NYKTHES
Dimanche 19 juin 2011
"Texte délectable, diction parfaite, interprétation magistrale, mise en scène remarquable: c'est un superbe moment théâtral dont on peut jouir sans rien savoir de la musique ni de ceux qui la font."
Pour moi dont la culture musicale avoisine le zéro absolu, le nom de Salieri n’est rien autre qu’une ombre vague accolée au nom de Mozart, rescapée sans doute des quelques rudiments d’histoire de la musique que l’on m’a enseignés à l’école et dont j’ai gardé quelques restes loin enfouis. Je ne connais pas davantage la nouvelle de Pouchkine, "Mozart et Salieri", dont Jean Hache s’est paraît-il inspiré pour écrire sa pièce Salieri, le mal-aimé de Dieu. Pourtant je n’ai pas hésité à demander une invitation en découvrant qu’il y en avait à disposition dans le n° 193 de la gazette En attendant…* – la lecture de la brève présentation figurant sur le site du Lucernaire avait suffi à piquer mon intérêt. Et ce à quoi j’ai assisté m’a véritablement comblée…
Des volets de bois tout écaillés entrouverts sur de solides barreaux ferment chaque côté de la scène et encadrent un mobilier rudimentaire – un banc, une bassine, un guéridon… C’est la chambre d’asile où Salieri vit ses dernières années. Lorsque celui-ci paraît, le spectateur le découvre vieilli et débraillé, s’apprêtant à prendre un bain de pied. Il est vêtu d’une chemise à jabot de dentelle dont le décolleté n’est pas fermé et qui pend par-dessus une culotte portée sans bas. Son corps est maigre, légèrement voûté, son visage émacié; ses traits sont taillés à la serpe, creusés par des restes de céruse accrochés çà et là tels les vestiges d’une splendeur passée qui affleure, encore, dans le gilet brodé qu’à un moment il enfile, dont les riches motifs font pâlir davantage les tristes habits qu’il couvre en partie. Ses premiers mots sont empreints de lassitude – tout est fatigué: l’homme, les vêtements, le décor… Il vient d’être visité par deux de ses anciens élèves, Schubert et Beethoven. Cela le ramène en arrière; il se rappelle son passé. Peu à peu c’est un autre musicien, mort déjà, qui finit par occuper presque toutes ses pensées: Mozart. Mozart qui, parfois, lui donne la réplique – une voix off – avec autant de vigueur que s’il était là en chair et en os.
Salieri évoque ses origines, sa carrière, sa musique, son appétit sensuel grand encore qui lui fait trouver accorte la veuve de Mozart et regretter telle ancienne maîtresse – tendre fantôme suggéré par une silhouette qu’esquissent, encoignée derrière les barreaux, peut-être des rameaux desséchés ou bien des lambeaux d’étoffe, on ne sait pas très bien… Il parle de lui, mais surtout de Mozart, oscillant sans cesse, à l’égard de celui-ci, entre aigreur et admiration ardente – non, plutôt qu’oscillation entre ces deux pôles il faudrait parler de l’expression d’un sentiment complexe où, à la reconnaissance du génie mozartien et à la jalousie se mêle une mésestime de soi n’allant pas sans la conscience d’avoir tout de même du talent, à quoi s’ajoute une sorte de pitié envers un jeune prodige transformé en singe savant par son père… Comme Jean Hache excelle à dire tout cela! Outre que le texte est d’une extrême finesse, le jeu et l'élocution sont admirablement modulés. Les phrases sont si excellemment écrites et dites que, sans avoir pu les lire – je n'ai pas eu entre les mains le texte de la pièce, qui n'a sans doute pas encore été publié – quelques-unes me sont restées gravées en mémoire. À propos de Mozart, par exemple: Tout son être était musique (...) juste occupé à mettre ensemble des notes qui s'aiment, comme il disait. Puis, plus tard, après avoir évoqué sa mort: Quelle dérision! Le génie devenu marchandise ! Mais au moins on se souvient de lui… Et enfin cet ultime aveu d'admiration, qui clôt le spectacle avec un peu, encore, de cet humour qui le parcourt tout entier: L’heure de la soupe… Avec la musique de Mozart c’est ce que je préfère!
Tour à tour cynique, cinglant, pathétique, lubrique, geignard, imprécateur… le comédien incarne un Salieri animé d'émotions très diverses dont toutes les nuances sont exprimées. Le jeu est intense, la diction précise et juste qui donne à chaque mot, prononcé à la perfection et vibrant d’émotivité, sa plénitude! Habité par son personnage, Jean Hache irradie d’une présence magnétique. À travers la voix de Salieri c’est, au fond, un grand hommage qu’il rend à Mozart et, surtout, à la Musique.
Texte délectable, diction parfaite, interprétation magistrale, mise en scène remarquable: c'est un superbe moment théâtral dont on peut jouir sans rien savoir de la musique ni de ceux qui la font. Si, en revanche, on est mélomane averti, et fin connaisseur de cette page d'histoire où se croisent Salieri, Mozart, Bach, Schubert, Beethoven... alors sans doute aura-t-on l'impression de toucher au paradis. Si Salieri est convaincu de n'avoir pas été aimé de Dieu, il ne fait aucun doute que l'auteur-interprète a, lui, bel et bien été touché par quelque Grâce...
Salieri, le mal-aimé de Dieu
Texte de Jean Hache
Mise en scène:
Jean Hache et Roland Hergault
Avec:
Jean Hache (Salieri) et la voix d'Emmanuel Ray (Mozart)
Son:
Jean-Michel Oberland
Lumières:
Roland Hergault
Costumes:
Ateliers de la Dame à la Licorne
Durée:
1 heure 10
Du mardi au samedi à 18h30 jusqu'au 27 août.
"Théâtre rouge" du Lucernaire - Centre national d'art et d'essai, 53 rue Notre-Dame-des-Champs – 75006 Paris Tél. : 01 45 44 57 34.
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"Salieri, le mal aimé de Dieu, une pièce de théâtre, que dire, une composition interprétée avec la rigueur et le génie d'un excellent comédien, musique pour Jean Hache"
Posté par angelique lagarde le 8 juin 2011
Salieri, le mal aimé de Dieu © André Bradin
Salieri, le mal aimé de Dieu
Mise en scène Jean Hache et Roland Hergault
De et par Jean Hache
Avec la voix d'Emmanuel Ray (Mozart)
Au Théâtre du Lucernaire jusqu'au 28 août 2011
Le crépuscule d'un grand musicien classique
Antonio Salieri naquit à Legnago dans le nord de l'Italie. Il s'installe à Vienne à l'âge de seize ans et très vite, il est remarqué par Florian Léopold Gassmann, compositeur de la Cour de Vienne et chef d'orchestre de l'opéra italien. Il lui enseigne une éducation musicale éclectique, ainsi que la littérature, la poésie et la rhétorique. En 1778, Salieri inaugure le théâtre de la Scala à Milan avec l’opéra Europa Riconosciuta. Les scènes du vieux continent acclament son œuvre et c'est ainsi qu’il se voit promu maître de chapelle et compositeur officiel à la Cour de Joseph II.
Entre temps, un jeune prodige de cinq ans révèle des dons miraculeux au piano. Sa fulgurante ascension commence à effacer Salieri des conversations dans les salons de la noblesse autrichienne. Mozart. Dès lors, la jalousie ressentie par Salieri contre son illustre rival se transforme en haine intempestive. A la fin du XVIIIème siècle, les notes de ses partitions se décrochent progressivement des nouvelles tendances. Il baisse sa garde et range ses compositions dans une mémoire, la sienne. Tombé dans la fosse de l'oubli, ses pairs l'accablent d'outrancières calomnies. Aurait-il intenter d'abréger la vie de Mozart en l'empoisonnant ?
Dans la pièce Salieri, le mal aimé de Dieu, Jean Hache apporte le démenti formel qu'il n'est en rien coupable de la fin de vie prématurée de Wolfgang Amadeus Mozart. Accusé à tort, la folie a eu raison de lui. Interné dans un asile de vieux déments échevelés, se complait-il de dire, sa cellule filtre le jour comme la nuit avec la lune. Les barreaux aux fenêtres laissent passer à claire-voie suffisamment de lumière. L'esprit emporté, Salieri n'a pas perdu de sa superbe pour admirer la jolie servante à la poitrine généreuse. Sur une console, sont posées pêle-mêle des partitions extraites de ses travaux passés. Des notes suspendues aux interlignes rappellent une époque où Salieri était considéré comme l'un des plus grands compositeurs de musique classique. L'élégance du rang était partagée avec Joseph Haydn.
La vie de Salieri se consume dans les braises ardentes de la haine exprimée contre Mozart. Une convulsion psychique qui l'aigrit jusqu'à se détester lui-même par moments. Il porte la chemise tombante et le gilet brodé à la cannetille d'or et d'argent remisé sur le sol dénote une profonde exaspération. Une lueur éclaire les yeux du vieil homme quand les bras miment la gestuelle du musicien en quête de l'accord parfait. La petite note qui donne à la partition la légèreté et la volupté d'une rime de poésie. En gentilhomme courtois, Salieri use de belle éloquence en s'adressant à une silhouette féminine improbable. L'isolement dû à sa condition, la preuve que la déraison l'affecte n'est plus prégnante.
Le verbe haut rétorque une souffrance insoupçonnée, la conjonction d'une existence alternée entre mérite et ignorance. Jean Hache ressuscite un grand compositeur trop vite oubliée par la médisance des hommes. L'interprétation est troublante et captivante, dramatique et humaine. Le cheveu épars, les lèvres pincées, les yeux révoltés dénoncent un homme condamné dans un huis clos intrinsèque où l'inconscience et le mépris se noient dans l'obscurité de la cellule. Le comédien s'empare du rôle de Salieri comme s'il s'agissait de son autobiographie mise en scène. A penser que le musicien et l'interprète jouent une partition intemporelle pour les confondre en une seule personne. La mise en scène minimise l'espace délibérément restitué à l'évolution du personnage au fil de la pièce.
Les extraits musicaux choisis pour la pièce mettent en valeur des œuvres qui ont valu à Salieri gloire et égards. Des morceaux bien à propos avec la violence et la puissance du magnifique texte répliqué par Jean Hache. Pour la petite histoire, les calomnies qui ont ruinées l'âme et l'homme du grand compositeur ont été depuis démenties. Antonio Salieri, n'était-il pas l'un des rares musiciens de renom à avoir accompagné Mozart en sa funeste demeure. Salieri, le mal aimé de Dieu, une pièce de théâtre, que dire, une composition interprétée avec la rigueur et le génie d'un excellent comédien, musique pour Jean Hache. Un moment de théâtre intense comme il en existe peu.
Philippe Delhumeau
Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre Dame des Champs
75006 Paris
Métro Vavin ou Montparnasse
Réservations au 01 45 44 57 34
Site : www.lucernaire.fr
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FROGGY'S DELIGHT
"Jean Hache, qui incarne de manière saisissante un Salieri vieillissant en régime cellulaire"
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Salieri, le mal aimé de Dieu |
Théâtre du Lucernaire (Paris) juin 2011 |
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Monologue dramatique écrite, mise en scène et interprété par Jean Hache avec la collaboration de Roland Hergault.
Jean Hache, grand comédien, a choisi d'évoquer la figure de Antonio Salieri passé à la postérité à cause d'une rumeur vraisemblablement infondée qui le soupçonnait d'avoir empoisonné Mozart par jalousie.
Jaloux, ce musicien italien, maître de Schubert et de Beethoven, directeur de la musique à la Cour de Vienne pendant près de deux décennies, dont l'inconscient collectif a gardé l'image d'un vieil homme ténébreux alors qu'il n'était l'aîné de Mozart, qui reste magnifié en enfant prodige, que de six années, l'était certainement mais la jalousie ne suffit pas à comprendre son destin ni à expliquer les tentatives de suicide qui l'ont amené à passer la fin de sa vie dans un asile d'aliénés.
Avec "Salieri, le mal aimé de Dieu", Jean Hache, qui incarne de manière saisissante un Salieri vieillissant en régime cellulaire, propose, à travers des soliloques exaltés, un éclairage plus complexe qui tient à la fois à la quête obsessionnelle d'exister et, suite à une mésestime de soi, au désespoir existentiel qui le rendra psychotique.
Orphelin d'extraction pauvre, Salieri n'a cessé de courir après l'amour et la reconnaissance. A l'amour parental absent, il a cherché un substitut auprès de celui qui est la source même d'amour, Dieu, qui l'a choyé jusqu'au jour où il lui a préféré Mozart. Il a cherché la reconnaissance à travers la gloire octroyée par les puissants en se faisant courtisan prêt à toutes les compromissions jusqu'au jour où Mozart a été plus admiré que lui.
De surcroît, il est victime d'une lucidité radicale : dès qu'il a vu Mozart, qu'il qualifie de monstre de foire, il décèle immédiatement ce qui relève de l'évidence, le génie dont lui, compositeur laborieux, bon faiseur d'oeuvres de commande, est dépourvu. Un génie qu'il admire, mais qui le nargue, un génie qui le conforte dans l'abandon de Dieu qu'il éprouve et un génie libre qui lui rappelle la médiocrité de son état de compositeur de cour.
Avec la complicité de Roland Hergault pour la mise en scène, qui a également conçu un bel habillage lumineux en clairs-obscurs et des intermèdes signés bien évidemment Mozart et Salieri, Jean Hache livre un portrait troublant qui interroge également la condition de l'art et de l'artiste. |
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"Etonnante interprétation, on ressent l’admiration et la jalousie maladive envers cet « aimé de Dieu » qui converse avec les anges"
SALIERI, le mal aimé de Dieu
De Jean Hache
Mise en scène Jean Hache et Roland Hergault
Un mal aimé de Dieu. Antonio Salieri, plus célèbre pour avoir « empoisonné » l’existence de Mozart que pour son œuvre, nous conte son histoire. Il est à l’asile, il a ses habitudes, sa petite Cour, une dame de haute lignée vient le voir, on la devine derrière la porte. Ses élèves et non des moindres, lui ont rendu visite : Schubert, Beethoven.
Il invective Dieu qui lui a préféré un gamin grossier, ce dernier compose et joue de la musique depuis l’enfance. Il s’en prend à Léopold Mozart qui a volé l’enfance de son fils.
Salieri voulait l’amour divin et Wolfgang Amadeus l’amour de son père, l’un et l’autre poursuivait la même quête.
Jean Hache est Salieri, tour à tour, coléreux, lubrique, arrogant, il respire la haine. Etonnante interprétation, on ressent l’admiration et la jalousie maladive envers cet « aimé de Dieu » qui converse avec les anges. C’est un homme infiniment malheureux et éternel insatisfait, en fait tout lui est dû !
La musique est présente dans ce spectacle et bienvenue pour nous laisser respirer un peu de beauté. Bien entendu, les morceaux sont signés Salieri, Mozart, Bach…
Salieri est-il réhabilité ? Il y a un théâtre Salieri à Legnago (province de Vérone) sa ville natale. Cécilia Bartoli a enregistré ses œuvres avec tout le talent et l’engagement qu‘on lui connait. Mais les légendes sont dures, à vous de vous faire une opinion, vous ne regretterez pas d’avoir rendu une visite de courtoisie à Antonio Salieri.
Lucernaire jusqu’au 28 août
Mardi au samedi 18h30
www.lucernaire.fr
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Requiem pour Salieri.
Du fond de son asile, Antonio Salieri à demi-fou porte un témoignage vibrant sur sa vie en se retournant sur son passé. Un destin honni qui n’a pas trouvé, selon lui, grâce aux yeux de Dieu. Ce spectacle actuellement à l’affiche du lucernaire pêche par ambition en présentant un spectacle un peu long. Toutefois, le sujet est profond car il est chargé d’une humanité forte. Salieri, compositeur officiel à la Cour de Joseph II, est un personnage tiraillé entre la haine qu’il voue à Mozart, son cadet, et son immense admiration. Salieri est un personnage de dramaturgie par excellence. Rongé par la jalousie jusqu’au fond de l’âme, Salieri du fond de sa cellule nous déroule sa vie, sa joie de composer de la musique jusqu’à sa rencontre avec Mozart. C’est avec le recul nécessaire qu’il se décrit en pleine opposition avec son désormais rival. Ce dernier ne se pose pas de question, il vit son âme d’enfant. Le vent de la liberté chez lui est dévastateur. Salieri, trop guindé, trop prisonnier d’une certaine société n’ose pas. Mozart ose. A l’Empereur qui estime que son opéra compte trop de notes, Mozart rétorque « qu’il y a juste assez de notes ! ». La musique est. C’est un fait qui est intangible. Salieri constate que Mozart n’a pas seulement brillé par son génie mais que tout son être respirait cette liberté créatrice qui s’imposait. Sur son lit de mort, n’a-t-il pas déclaré « qu’il jouerait au piano à quatre mains avec Dieu ! ».
Alternant entre rancœur et admiration, Salieri parle à des personnages invisibles sortis tout droit de son esprit malade. Il délire et rêve de se venger de Wolfgang, l’arrogant, en prenant sa femme Constance de force. Mais quand vient l’heure de la cloche ou du souper, force est de reconnaitre que « deux choses lui plaisent encore sur terre : le souper et Mozart ». Il s’explique cette ambivalence en s’estimant maudit par le Ciel. Cela ne peut être que cela. Mozart lui a tout pris. Il s’était défendu en lui disant que le génie n’est pas immortel. Du moins, voulait-il le croire. Mais une fois le génie mort, le monde ne parlait que de lui et de sa musique. Même ses détracteurs finissaient par convenir de son génie. L’oubli n’était donc pas sanctionné par l’oubli. Salieri poursuit son chemin de croix attendant la délivrance et l’oubli qu’il sait patent en ce qui le concerne.
Ce spectacle nous fait glisser à travers les méandres du cerveau malade de Salieri peuplé par des notes de musique, un univers attisant ses délires et ses fantasmes. Jean Hache, comédien de talent, assure également la mise en scène de ce spectacle dense et complet. Au comble de ses exaltations et de ses chimères, Jean Hache incarne, dans une scénographie minimaliste, un compositeur trop vite oublié. Cette pièce en réhabilitant la mémoire d’Antonio Salieri nous remet en mémoire le prodigieux film « Amadeus ».
Journaliste : Laurent Schteiner
Salieri, le mal-aimé de Dieu de Jean Hache
Mise en scène de Jean Hache et Roland Hergault
Avec Jean Hache
Avec la voix d’Emmanuel Ray (Mozart)
copyright André Bradin
Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs
75006 Paris
Resa : 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr
du mardi au samedi
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"Comédien rare à la présence et à la gestuelle fascinantes, il a décidé de nous mettre mal à l’aise face à la moins bonne part de nous même : nos fausses inquiétudes, mais surtout nos simples envies et jalousies."
Saliéri, le mal aimé de Dieu
de et par Jean Hache
Mise en scène : Jean Hache et Roland Hergault, avec la voix d’Emmanuel Ray (Mozart).
Il y a eu la nouvelle de Pouchkine, et depuis un quart de siècle nous sommes sous le charme de l’Amadeus de Milos Forman ce ‘film-culte’. La pièce de Jean Hache prend magistralement le relais de ces incontournables. Comment un artiste doté par le Créateur d’un talent qu’il a fait fructifier grâce à un travail constant, homme reconnu par ses pairs et par son protecteur le monarque (qui, en terre chrétienne, est aussi lieutenant du Très-Haut) pourrait-il accepter de se faire court-circuiter et coiffer au poteau par un gamin prolongé, facétieux, baroque, mais adulé par ceux qui saluent en lui un génie ? Seigneur où est ta justice ?
Jean Hache, dans un costume d’époque dont il se défait pour mieux le ré-endosser, évolue dans un décor ingénieux mais très réaliste : non pas asile pour personnage nuisible mais simple lieu d’enfermement. Comédien rare à la présence et à la gestuelle fascinantes, il a décidé de nous mettre mal à l’aise face à la moins bonne part de nous même : nos fausses inquiétudes, mais surtout nos simples envies et jalousies.
« Mon Seigneur que j’ai rencontré, révéré, servi, j’ai accepté les souffrances que tu m’as infligées mais voici que tu ne m’aimes plus … enfin plus comme autrefois. » C’est ainsi que nous l’avons reçu. On dirait un petit garçon blessé ; pourtant l’homme sur le retour et certainement vertueux est père de huit enfants. Mais qu’est-ce qu’aimer et être aimé ?
Mozart intervient : voix off chaude qui fascine autant qu’elle met Saliéri mal à l’aise.
Les musiques de Bach (soit sa version de Innsbrück Ich Muss Dich Lassen ) mais surtout de Wolfgang, cet Amadeus - voyez : « qui aime Dieu » ou serait-ce: « qui est aimé de Lui ? » et dont Jean Hache a choisi des passages de L’enlèvement au Sérail, des Noces de Figaro et de la Flûte Enchantée pour monter vers un Requiem auquel celui de Saliéri sera un parfait écho. Match nul, diriez-vous ou simple histoire d’amours contrariées ? Jean Hache vous fera prendre parti.
Le Lucernaire jusqu’au 28 août, du mardi au samedi à 18 h30. Réservations : 01 45 44 57 34 .
posted by Marie Ordinis @ 12:08 PM
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THÉÂTRE
Salieri retrouve ses lettres de noblesse sur la scène du Lucernaire.
Guère besoin d’être un mélomane averti pour au moins avoir entendu parler du compositeur Salieri. Milos Forman en avait fait (dans son film "Amadeus") l’empoisonneur de Mozart. Ici, Jean Hache, certainement plus proche de la réalité historique, dresse le portrait d’un homme en proie à sa solitude et à son passé. Loin d’en faire un monstre jaloux et assassin, il rend le personnage terriblement humain et touchant.
Jean Hache dans "Salieri le mal-aimé de Dieu" © André Bradin
h ! Salieri… l’abandonné. "Saliéri le mal-aimé de Dieu". Particulièrement doué, il fut pourtant reconnu de son vivant comme un grand compositeur. Mais difficile d’arriver à faire exister ses œuvres à côté du génial Mozart. Et bien qu’attaché à la Cour de Joseph II à Vienne. On le sait, ce dernier lui volera la vedette et ses livrets seront jetés aux oubliettes pendant plus d’un siècle. C’est la nouvelle d’Alexandre Pouchkine d’abord (Mozart et Salieri, écrite en 1830) qui aura permis de faire redécouvrir le personnage, mais surtout (comme Forman) d’alimenter la thèse de l’empoisonnement. Thèse qui n’a jamais été accréditée d’ailleurs. Et ce n’est pas ce que Jean Hache a retenu du personnage.
L’originalité de la pièce tient d’abord dans la façon dont Salieri a été mis en scène : seul. Mozart n’est plus qu’une voix et reprendre celle d’Emmanuel Ray (la voix française de Mozart dans le film Amadeus) c’est élever un peu plus le mythe pour donner à Salieri un tour encore plus humain : "La fornication est le meilleur antidote contre le vieillissement", lui fait dire Jean Hache. La perception d’un homme déchu et malheureux qui ne fornique plus au fond de sa cellule, présenté d’abord à sa toilette, puis en train de manger, éloigne le spectateur de cette ombre fantastique et fantasmée qui aurait plané sur la vie de Mozart.
Habilement mis en scène sur le petit plateau du Lucernaire, ce soliloque, tantôt drôle tantôt grave, est investi par un auteur, comédien et metteur en scène qui a su magistralement laisser parler les démons jaloux du compositeur en mal de reconnaissance et lui redonner, ainsi ses lettres de noblesse. Si l’air sec et maigre de Jean Hache n’est pas sans rappeler l’image revêche et sévère que l’on prête volontiers au personnage, sa force est d’avoir su en faire le portrait d’un homme parcouru dans sa dimension la plus complexe et la plus verticale : ni bien ni mal, le personnage oscille entre démesure et faiblesse, emphase et simplicité, folie et raison. Son jeu et son allure ne sont pas sans rappeler celui d’un Laurent Terzieff.
Cet homme qui aurait au moins voulu être un ange déchu regarde l’enfant prodige avec haine et envie. Mozart est celui qui "dialogue avec les anges" et qui détient "le génie du coeur", "seulement occupé à mettre ensemble des notes qui s’aiment". Lui n’a pas une note digne de passer à la postérité. Retranché au fond de sa cellule, il ne reste plus que les souvenirs du passé pour s’entretenir avec lui. Même Dieu aura fini par se taire. Adresses, menaces, supplications, seule la musique vient encore lui chuchoter à l’oreille et imposer sa respiration. Moins "fulgurante" et moins passionnée que celle de Mozart, elle est néanmoins une redécouverte, un dialogue entre les deux compositeurs, sinon un magnifique requiem permettant enfin de réhabiliter son œuvre.
Lumière calfeutrée, barreaux aux fenêtres se détachent discrètement, entre ombre et lumière, et seront le symbole de l’enferment progressif de Salieri. Roland Hergault, à la co-mise en scène et à la lumière, a réalisé là un beau travail. Ce dialogue métamorphose la scène en un confessionnal recueillant les confidences d’un homme en proie à un beau délire.
"Salieri le mal-aimé de Dieu"
Jean Hache dans "Salieri le mal-aimé de Dieu" © André Bradin
(Vu le 14 juin 2011)
Texte : Jean Hache
Mise en scène : Jean Hache et Roland Hergault.
Avec : Jean Hache et la voix d’Emmanuel Ray.
Lumière : Roland Hergault.
Du 1er juin au 28 août 2011.
Théâtre le Lucernaire, Paris 6e.
Du mardi au samedi à 18 h 30.
Réservations : 01 45 44 57 34.
www.lucernaire.fr
Sheila Louinet
Lundi 4 Juillet 2011
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Publié par Franck Bortelle dans Théâtre le 10 juil 2011
"Jean Hache se réserve le rôle-titre. Il y est prodigieux. Avec sa diction parfaite et sa phénoménale capacité d’incarnation, cet immense professionnel des planches livre une composition saisissante."
Talent contre génie
Seul en scène et auteur de son spectacle, Jean Hache livre une composition saisissante de l’ennemi juré de Mozart. Tour à tour blasphématoire ou se pâmant d’admiration pour le prodige dont il reconnaît la supériorité, il dissèque cette frontière ténue entre le talent et le génie en proposant, outre une réhabilitation de Salieri, une passionnante réflexion sur la condition d’artiste. Coup de cœur.
Musicien de commande de l’empereur d’Autriche, ce « mou de la coiffe » ainsi qu’il le nomme, professeur de Beethoven et Schubert, Salieri aura connu toutes les gloires, tous les triomphes. Adulé de l’aristocratie entière, il doit toutefois céder la place à un « monstre de foire », un « singe savant » dont pourtant « tout l’être n’était que musique, préoccupé seulement à mettre ensemble des notes qui s’aiment », Wolfgang Amadeus Mozart, ce trublion génial qui s’affranchit allègrement des codes de bienséance et des compromis et dont la musique touche toutes les couches sociales. Riche mais aliéné, il s’adresse de sa chambre d’asile à d’hypothétiques invités, grotesquement représentés par un trophée de chasse mais aussi à Dieu et bien sûr à Mozart qui n’a de cesse de le haranguer en lui assénant d’évidentes réalités sur le métier.
crédit photo André Bradin
Le délire comme valeur refuge
Jean Hache a écrit un texte brillant, stylisé, très « 17ème siècle », sans enluminure mais parsemé de saisissantes réparties sur le métier d’artiste. Son Salieri, tout d’aigreurs à peine contenues, force plus l’empathie, voire la pitié, que l’aversion. Croupissant dans cet asile dont le sordide se dispute à la décrépitude, métaphore de l’état même du personnage et que soulignent à la fois un décor décati et des vêtements qui ne fleurent guère la belle époque des mondanités impériales, il n’est que blasphème, concupiscence déchue et surtout solitude. Mozart vient de mourir et la haine de Salieri, assortie d’une admiration qui confine à la folie pure, n’a plus de répondant. Lucide de la futilité de son passé où courbettes et flatterie furent son lot quotidien, il ne peut plus trouver que le délire comme valeur refuge. Lui le courtisan fidèle jusqu’à l’obséquiosité mais qu’on aura vite oublié s’est fait damner le pion par ce débauché de Mozart qui fait la nique à qui ose émettre un bémol à sa musique. C’est l’anarchiste contre le politiquement correct. C’est l’audace opposée au consensus. C’est le talent face au génie. Combat perdu d’avance.
La mise en scène, bien qu’épurée, va réserver de beaux moments esthétiques par l’entremise d’éclairages (signés Roland Hergaul) qui embastillent le personnage dans les tréfonds de sa jalousie maladive. Sur scène, Jean Hache se réserve le rôle-titre. Il y est prodigieux. Avec sa diction parfaite et sa phénoménale capacité d’incarnation, cet immense professionnel des planches livre une composition saisissante. Si quelques rires ne peuvent être réprimés (car la drôlerie parvient à s’immiscer dans le propos), ils sont rapidement relayés par cette pitié que renvoie cet homme usé, poudré pour se donner encore un semblant d’illusion de gloire. Salieri abdique, dépose les armes dans une phrase couperet, péroraison à son propre ensevelissement discursif : « L’heure de la soupe : c’est avec la musique de Mozart la chose que je préfère ». Salieri s’éclipse sur son « Requiem ». C’est Jean Hache qui revient et récolte les bravos. Tout le drame de l’éternel second…
Saliéri, le mal aimé de Dieu
De et par Jean Hache
Mise en scène : Jean Hache et Roland Hergault
Avec la voix d’Emmanuel Ray (Mozart)
Du 1er juin en 28 août, du mardi au samedi à 18h30
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris
Réservation : 01 45 44 57 34
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La commedia della mattina
Par Stéphanie Fromentin
France Inter, le dimanche de 6 h 43 à 6 h 47
"Saliéri, le mal aimé de Dieu. Le compositeur de musique (1750-1825) oublié de l’histoire se raconte à travers sa rivalité avec le divin Mozart… son contemporain. Cloisonné dans un asile de fous il dialogue avec ses voix intérieures… entre souvenirs sur sa vie et réflexions sur son temps. La légende dit que c’est Salieri qui, fou de jalousie aurait empoisonné Mozart … une légende initiée par la nouvelle de Pouchkine : Mozart et Saliéri 1930) et accentuée par le film de Milosz Forman(Amadeus).
Or, on s’aperçoit avec Salieri, le mal aimé de dieu que, non seulement c’est faux mais que ce serait plutôt Mozart qui aurait empoisonné la vie de Salieri. Jean Hache, le comédien metteur en scène de cette pièce incarne cet homme brisé au point qu'on finit par se dire que Saliéri est de retour. Il fait plus que de nous proposer une biographie de Salieri, il nous offre une véritable entreprise de réhabilitation ..."
Stephanie Fromentin 19 juin 2011 Debout les morts !
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Salieri réhabilité
Salieri, le mal-aimé de Dieu, de et par Jean Hache, Lucernaire, mar. au sam., 18 h 30, jusqu’au 28 août. Rens. : 01 45 44 57 34
Historia
Jean Hache s’inspire de la nouvelle de Pouchkine, Mozart et Salieri (1830), qui alimenta la légende de la rivalité entre ces musiciens et colporta la rumeur selon laquelle Salieri aurait manigancé la mort de Mozart (voir Amadeus de Milos Forman) mais n’y adhère pas. Né en 1750, Salieri, acteur incontournable de l’histoire de la vie musicale de Vienne, est nommé dès 1774 directeur de l’Opéra italien et compositeur officiel de la cour de Joseph II puis maître de chapelle royale et impériale en 1888. Adulé jusqu’à l’arrivée du prodige « ricanant et irrespectueux », à la fin de sa vie il se serait accusé de son assassinat. Il est plus probable que, dépressif, il aurait perdu la raison, voire tenté de se suicider. Bien que jaloux, il fut l’un des rares à se rendre aux funérailles de Mozart dont il admirait le génie. On ne peut s’empêcher de penser, comme le révèle la pièce, que la rumeur a pris le pas sur l’histoire et animé l’éternel débat médiocrité et génie, qui, s’il est romantique, n’a rien d’historique, d’autant que Salieri n’était pas un médiocre. Jean Hache montre Salieri à l’asile mais il n’est pas fou, juste un homme déçu qui sait qu’il sera oublié, dont l’imagination fait défiler les personnages de l’époque, la Cavalieri pour laquelle les deux compositeurs ont écrit, Beethoven et Schubert, ses anciens élèves, dont le dernier a la syphilis, Mozart (voix off d’Emmanuel Ray). En filigrane, les mœurs de la cour où l’artiste n’est qu’un valet parmi d’autres, où règnent mensonge et hypocrisie, où l’on peut s’offrir les faveurs d’une bienfaitrice ou d’un protecteur comme le prince Colloredo pour Mozart, où on lit le marquis de Sade… On apprend que le librettiste Lorenzo da Ponte s’exile aux Amériques, que l’empereur remplace Gluck par Mozart à la chambre impériale, que le Burgtheater « ne jure que par les modernes » et oublie Salieri. Dans l’ombre on devine l’asile. Musique de Salieri et Mozart. Le mystère reste entier, d’autant que l’expertise du crâne supposé de Mozart n’a rien donné jusqu’à ce jour, mais cette manière de réhabilitation de Salieri est à ne pas manquer.
Evelyne Sellés-Fischer
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